lundi 23 avril 2012

Vacances de Jean Patou -1936 - 1984 -




Longtemps avant qu'Olivia Giacobetti ne mette magistralement le lilas en flacon pour le compte des Éditions de parfums Frédéric Malle avec En Passant, la maison Jean Patou sortait, en plein Front Populaire, un petit chef d’œuvre de poésie olfactive: Vacances. Un parfum qui célèbrait le printemps, l'insouciance et les premiers congés payés instaurés cette année là, en  juin 1936. 
1936, c'est également l'année du décès prématuré de Jean Patou, à la tête de l'une des plus florissante maison de couture et de parfum de l'entre deux-guerre. Une maison qui symbolisait alors luxe, décontraction et liberté, les premières tenues de sport c'est lui, et qui savait coller à l'air du temps pour le choix des noms de parfums sortant des propres laboratoires de la marque. Le parfumeur maison c'est Henry Almeras, qui a d'abord débuté chez Paul Poiret et ses Parfums de Rosine avant de rejoindre Patou en 1925. 
Quand Vacances est lancé, ils ont déjà créé  ensemble Que sais-je? en 1925, Chaldée (1927) et Normandie (1935) entre autres perles, mais surtout, le joyaux: Joy, sortie pied de nez à la crise de 1929, le parfum le plus cher du monde selon la formule. 

 Vacances...

Sur la côte bretonne ensoleillée (si!) par la fenêtre grande ouverte donnant sur la baie, des rideaux de tulle vert pâle et mauve flottent au vent. C'est un après-midi de printemps alangui, paisible, comme la longue frégate qui fend l'eau au loin. Dans le jardin au bord de la falaise, les aubépines blanches en fleur, le mimosa et le lilas se disputent et s'arrangent pour embaumer l'air d'une douceur poudrée de miel.  Quelques jacinthes sauvages percent la pelouse verte et brillante qui n'a pas encore été tondue après l'hiver. 
C'est (les) Vacances: après un départ  où la vivacité du galbanum annonce la couleur, un vert tendre aérien qui perdurera tout au long de l'évolution,  les fleurs prennent le pas et mènent la danse avec élégance et délicatesse. Se dégage de ce floral éthéré, une impression cotonneuse de pollen flottant dans l'air frais  du printemps, totalement hors d'âge, presque irréel. Une perfection profondément émouvante.  Certains y sentent de la mélancolie, j'y renifle la joie et l'innocence. 

Les notes d'aubépines doivent beaucoup à l'anisaldéhyde à l'odeur de mimosa poudré aux accents anisé, une matière fabuleusement élégante. La jacinthe c'est bien sûr l'aldéhyde phénylacétique avant tout, qui couplé à l'héliotropine et à l'alcool phényléthylique à l'odeur de rose verte et riz blanc donne le lilas. Le fond de musc (et sans doute de l'amyl allyl glycolate en traces qui harmonise les notes vertes en laissant une légère sensation métallique en fond) et de bois doux font durer et étirent la composition qui s'étiole doucement.

Hélas, mille fois hélas, cette merveille a disparue depuis longtemps des étales de marchands d'odeurs. La maison jean Patou a brièvement réédité 12 de ses chefs d’œuvres oubliés en 1984, dont celui-ci, sous la houlette et la palette de Jean Kerléo alors parfumeur maison, qui s'est inspiré de ses origines bretonnes et de ses séjours sur la côte pour faire revivre Vacances. L'eau de toilette qui n'existait pas est une création qui reste très proche de l'esprit de l'eau de cologne et de l'extrait original. 

Malheureusement encore la recréation a elle aussi disparu et les rares flacons qui apparaissent  à la vente ici et là, atteignent de sommes folles. 
(Je garde et chéri mes quelques millilitres de poésie). 
La marque a été rachetée en 2001 par le géant de la lessive Procter et Gamble, puis revendu en 2011 à Designer parfums; nous sommes plusieurs aficionados à prier régulièrement la Sainte Madeleine des parfums pour qu'ils aient l'idée de génie de ré-éditer quelques merveilles du catalogue riche et souvent d'une étonnante modernité de cette maison qui sombre peu à peu dans l'oubli, dont cet incroyable Vacances. 

Peintures: Henry Matisse, Femme au manteau violet et Le Leçon de piano

jeudi 19 avril 2012

By Kilian: Water Calligraphy et Bamboo Harmony

La marque hype et chic, après nous avoir fait le coup des milles et une nuits, se penche sur les légendes asiatiques.. et son marché.  A la conquête du monde?

Water calligraphy.
Autant le dire tout de suite: dès le départ, j'ai l'impression d'être à l'entrée d'un Séphora de base. Un mélange assez cacophonique d'eau (l'impression de flotte forale indistincte est assez bien rendu), c'est chimique, synthétique, lessivé à grande eau. 
Ensuite ça se pose. Un magnolia, une pointe plus grasse de jasmin sambac qui fait alibi naturel et me semble un peu perdu dans toute cette synthèse crissante, le seule chose qui sauve cette eau de calligraphie du naufrage. Et que dire d'autre, à part que ça sent le shampoing Garnier Fructis de niche. 
Et c'est d'autant plus rageant que le floral aquatique est quand même un genre largement exploré depuis des années et qu'on a déjà senti beaucoup mieux ailleurs. Fleur de Liane chez l'Artisan Parfumeur dans l'idée offrait un bien meilleur rendu plein de poésie. 

"C'est frais" et calibré J'Adore. Ce n'est pas hideux, je porterai même volontiers ce genre de fragrance en crème de jour rafraichissante, mais cela ne fait pas un parfum à mon sens. Le tout est bien exécuté, on sent la patte et l'expérience de la parfumeuse mais ça ne me touche pas. Pire,  ça me met en rogne. Je sais bien que je ne suis manifestement pas la cible de ce genre de jus romantique, jeune et jolie. Mais j'ai tellement l'impression que l'idée majeure de cette nouvelle collection est de draguer le marché asiatique avec des senteurs lisses, propres et passe partout et surtout  à mon avis d'un ennui profond que l'on se pose vraiment des questions sur le cynisme de l'équipe marketing. 
By Kilian nous avait habitué à un peu plus d'audace et de classe. Dommage. 


Bamboo Harmony est heureusement d’un autre acabit. Plus richement orné et évocateur de l'Asie. Une volée de citrus attire l'attention en tête. J'aime beaucoup la bigarade avec ses accents verts néroli qui annoncent la suite: un mimosa et surtout un thé blanc assez réaliste. Plutôt l'infusion que la feuille sèche avec ses notes de noisettes et d'amande subtiles et rondes, on sent la douceur duveteuse des bourgeons d'Aiguilles d'argent. Et l'on retrouve l'acidité du maté, le lacté des feuilles de figuier qui rejoint les notes beurrées et coumarinées du thé blanc. C'est élégant, bien maitrisé, peigné comme un jardin japonais et effectivement empreint de cette espèce de quiétude et de recueillement que l'on ressent en tentant la méditation devant un bonzaï. On sentirai presque le vent caresser les bambous et les feuilles bruire en sourdine, comme pour ne pas déranger. 
Hélas le fond retombe dans le musc délavé et les notes de cœur qui s'étirent tant qu'elles peuvent. Bien loin de la précision du trait et la concision des estampes japonaises. 
Moi qui rêvait d'un parfum Haïku qui m'aurait ouvert des horizons..

Au final je suis plus que dubitatif devant cette nouvelle collection; j'espère vraiment que les opus à venir sauront explorer des sentiers moins rebattus et nous faire vraiment rêver d'Asie, de feux d'artifices et de légendes, plutôt que de stratégie commerciales



jeudi 12 avril 2012

Aedes de Venusta, Eau de parfum: Rhubarbe 3D





Dès la première inhalation je me suis retrouvé catapulté dans le jardin de mon enfance, celui de mes grands-parents. Pieds nus dans l'herbe fraiche, courant parmi les groseilliers et les cassis, les doigts tachés de fruits, volant des pommes encore vertes aux arbres, des noisettes duveteuses qu'on cassait sous des pierres pour extraire les fruits à peine formés, et furetant dans les grands prés à la chasse aux tiges de grande oseille qu'on suçait pour se shooter avec l' acidité sucrée du jus.
Vert, acide, crissant, croquant, fusant, autant d'adjectifs qui collent bien à ce parfum centré sur un accord Cœur de rhubarbe hyperréaliste, des tiges rosées rouge fraichement coupées; On verrait presque les gouttes de sève acide perler sur la coupe. Le départ est saisissant et extrêmement diffusif, il jaillit presque. 

Ce qui est surprenant ici c'est l'utilisation inhabituelle du vert: pas de galbanum, d'herbes coupée, mais plutôt un subtil jeu d'ombres et de lumière: feuille, tige, racine. C'est jeune et frais, acidulé, sucré par des fruits pas encore murs. 
Feuille de tomate, pomme et groseille, une touche miellée citrique de chèvrefeuille explosent la rhubarbe et la mette en valeur. Des notes plus sombres, racinaires et résineuses de vétiver et d'encens entourent la vivacité de l'accord central comme un support nutritif stimulant la pousse.
Aux alentours, plus qu'à la noisette c'est aux chatons du noisetier que je pense, il y a quelque chose de duveteux, fruité encore et un peu mat au fond dans l'entourage de cette tige (une pointe de raspberry ketone peut-être et les facettes noisettes de certains muscs).

C'est d'une force peu commune en tout cas, printanier, naturel et presque violent, la même force verte qui perce le bitume et le béton, implacable. Orné de magnifiques teintes de rouge tendre du fruité acidulé qui drapent l'éclatement végétal.
Crissant mais jamais crispant, moins complexe et stratifié que d'autres créations  du parfumeur,  déconstruit plutôt, en exploration, innovant en tout cas et  n'oubliant jamais d'être portable. 
Bertrand Duchoufour quasiment en roue libre, explore les frontières du réel parfumesque avec cette nouvelle création, qui augurerait presque d'une nouvelle manière, tout en rendant un bien bel hommage aux chyprés verts d'antan.
Car tout au long du développement un hologramme de chypre courre, comme éclairé au néon, fauve, plongeant aux racines du vert avec les notes d'encens et de vétiver, matières chères au parfumeur, qui font ici office de substrat étirant la rhubarbe. 
Que ce soit dit: Monsieur Duchaufour, j'aime beaucoup ce que vous faites. Et c'est vraiment un plaisir ( quoique parfois cela frise le jeu de piste) de suivre l'évolution et le travail d'un créateur qui explore différentes voies, défriche en toute indépendance, même si bien sûr on voit les traits communs et les reprises: c'est passionnant. 

Aedes de Venusta, la célèbre parfumerie de niche New yorkaise, après une  collaboration avec l'Artisan Parfumeur pour son premier parfum, sort donc cette fois-ci sous son propre label cette Eau de parfum téméraire qui se veut coller à l'ambiance "baroque et futuriste" de la boutique sur Christopher street, NY
Disponible également à la nouvelle boutique Jovoy rue Castiglione, à Paris. 
C'est un coup de cœur pour moi, et peut-être un cassage de tirelire en vue. Sur photos, je ne suis a priori pas trop fan du flacon par contre, un peu trop girly à mon gout et pas trop fan non plus du prix: 195€ les 100ml.

A lire: une passionnante entrevue avec le parfumeur: Grain de musc
Photo: groseillier à maquereaux. 

lundi 9 avril 2012

Nouveautés Etat Libre d'Orange


FILS DE DIEU du riz et des agrumes. 





Ça démarre comme une cocktail party au lounge d'un hôtel 4 étoiles de la Réunion: dans les coupes, un savoureux mélange de citron vert et rhum saké avec une lichette de lait de coco et un litchi flottant. Soit une formidable explosion de citron acide, limette en tête, secondée par des notes lactoniques de coco.  Puis très vite: la fraicheur poivrée montante du gingembre sur lit de coriandre feuille. 
C'est Fils de, décomplexé, un peu insouciant,  pas même insolent ou m'as-tu-vu, juste bien élevé et célibataire, mais plus pour très longtemps. On pourrait presque s'ennuyer si la note shizo- champignon subtilement dissonante ne maintenait l'intérêt éveillé. 
Attention, Fils de ne manque pas de caractère, il a même de la conversation, c'est juste qu'on finirait par être jaloux et ne plus l'apprécier d'être aussi avenant et bien fait de sa personne.

Nous somme passé à table pour déguster un curry thaï: riz blanc épicé (gingembre cardamone cannelle) au lait de coco et feuilles de coriandre comme il se doit.  Toujours en bonne compagnie. 
La douceur laiteuse (lait de riz, de coco) qui contrastait avec l'acidité des agrumes, laisse place à une douceur coumarinée de bon aloi, tout en gardant la verdeur/ vigueur et le feu des épices et des aromates en bouche. 
Tout au long, comme un fil conducteur, une touche de rose fait lien, elle courre à vue de nez depuis l'effet magique de l'alcool phenyléthylique (à l’odeur de rose fraiche, feuilles, eau de riz ou saké litchi selon l'angle), pour s'épicer et s'assombrir à mesure que le parfum se développe.
Le fond, comme une fin de soirée paisible dans de grands fauteuils en rotin, vétiver discret , un peu roots, s’endort tranquillement au son des vagues sur la plage. On retrouve un vague point commun avec Fat electrician et son vétiver gourmand. Pas trace du cuir annoncé à mon nez par contre, mais il faut dire que je fréquente des peaux de bêtes autrement plus sauvages.

Une création de Ralph Schwieger pour État Libre d'Orange qui tourne autour du culinaire sans jamais vraiment y sombrer et une manière originale de revisiter le genre hespéridé en racontant une autre histoire que la fraicheur cologne aromatique. Rien que pour ça je le trouve réussi. Dans l'histoire insolente de la marque à l'esthétique trash et au milieu des précédentes créations ELO, Fils de dieu est presque choquant de ne pas être choquant. Un parfum pied de nez?

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Jungle Essence

Le trait d'union entre les deux nouveautés ELO ce serait peut-être ces mystérieuses notes  JE  qui apparaissent dans les pyramides.
JE pour Jungle Essence, un procédé de headspace breveté Mane qui produit désormais les concentrés de la marque. Et peut-être est-ce du à ce Jungle essence qui reproduit les composés aromatiques présent dans l'air, que j'ai l'impression que les nouveaux ELO gagnent en naturel. J'avais tendance à être un peu rebuté par le côté brutal et délibérément synthétique, pas fini, des premiers (et même si je suis très client des brûlots sans concession tels que Rien). Pour le coup, la marque en devient presque fréquentable et ses parfums beaucoup plus portables, quasi hétéro friendly. Le signe en tout cas qu’État Libre d'Orange sait se renouveler et ne tourne pas en rond. 


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Bijou romantique



Bijou c'est une autre histoire. Dès la vaporisation la messe est dite: élégance. Et même si la fraicheur fruitée des baies roses et la vivacité de la sauge modernisent un peu la chose, le classicisme est à l'honneur.
ELO drague la jeune bourgeoise? Au dodo les bobos, place à Agnès petite fille de mamie Shalimar? Quoique. 
Je perçois une note un peu camphrée presque chlorophylle, sans doute les salicylates de l'ylang ylang, et cette pointe est la bienvenue dans la douceur poudrée orientale qui s'installe toute en légèreté, on n'est pas dans le poudré dadame. Car Bijou Romantique est innocence, tendresse, harmonie et insouciance même si Agnès a déjà vu le loup tout de même et ça se sent.
L'ylang donc, met merveilleusement bien en valeur ce poudré solaire et illumine le parfum qui est parfois à deux doigts du crémeux et de la gourmandise mais n'y cède jamais. L'iris se mêle au benjoin, sur touche c'est le benjoin qui domine mais sur ma peau c'est la vanille vanilline qui prend le dessus. Un patchouli discret en fond, à une pincée du chocolat, s'étale sur lit (à baldaquin) musqué boisé léger. 
Une pointe animale discrète comme des reflets cuivrés, cuirés, excite la libido, et érotise ce petit bijou juste ce qu'il faut, là où il faut.
Bref c'est romantique mais pas cucul, ce qui en soit est déjà un exploit.
C'est un saphir, un padparadscha, orange à reflets roses, les plus rares, plutôt qu'un rubis. Et ces camées qu'on se passe de mère en fille comme un talisman et qui disent: profite de ta jeunesse!
Un parfum doudou pour jeune fille qui sait ce qu'elle veut: qu'on la déshabille.

Comme l'a noté My blue hour, on dirait un Guerlain light c'est-à-dire sans sucre, moins lourd et empesé. Moderne. Diffusion et sillage sont assez impressionnants, une simple touche embaume la pièce. 
Mathilde Bijaoui après l'acclamé Like this chez ELO également (Lily and spice chez Penhaligon's c'est elle aussi), nous prouve encore une fois qu'elle est une parfumeuse à suivre! 


Photos: Thaï bride cocktail. John William Godward Nerissa (1906)


jeudi 5 avril 2012

Fleurs de ruisseau


Galbanum – angélique – aubépine

Cassie – feuille de violette – jacinthe d’eau

Absolue foin – flouve – mousse de chêne – racine de costus





Fleurs de ruisseau est un parfum très vert, nostalgique des sous-bois et des prairies bretonnes. C’est une promenade au printemps dans les herbes folles, quand le soleil réapparaît après l’averse. 
Il s’ouvre sur une brassée d’herbe fraîche, mordante, un galbanum juteux auquel se joint l’angélique aromatique, âpre et presque poivré, à l’odeur typique de tige gonflée d’eau des ombellifères qui poussent au bord des ruisseaux. La feuille de violette contribue à donner un effet mouillé et frais en même temps que poudré vert et légèrement terreux.
La cassie et l’aubépine en cœur, floral délicatement poudré, aèrent la composition et les  petites fleur blanches rosacées, poudrée miellée qui  couvre les aubépines apportant une touche poétique au tableau.
Ensuite c’est la jacinthe d’eau qui entre en jeu et la promenade au bord du ruisseau continue. Le fond est toujours vert, mais plus doux et moussu grâce à l’absolue de foin coupé et la flouve (une herbe à l’odeur coumarinée). Une pointe de mousse de chêne et  surtout la racine de costus animalisent et assombrissent légèrement le fond.




Ce parfum, ça fait un an qu’il me trotte dans la tête, il y a déjà eut plusieurs versions avant d’arriver à celle-ci qui me semble la plus équilibrée. 
J’avais d’abord utilisé du lyral une note muguet qui prenait trop de place et qui s’entendait très bien avec le cedramber (ambre gris) pour donner un lait d’amande verte crémeux et très cosmétique qui n’allait pas du tout. J’ai finalement enlevé les deux et remplacé l’encens qui était présent à l’origine en tête et cœur par de l’angélique qui a l’avantage d’amener des notes de tête très intéressantes et de soutenir le fond avec ses muscs naturels. 

Les notes poudrées mimosa de l’absolue cassie et feuille de violette sont essentiellement soutenues par l’anisaldéhyde une matière que j’adore et que je trouve très émouvante : poudrée, verte anisée, mimosa, lilas, ronde et balsamique, elle contribue beaucoup à faire d'Après l'Ondée  un chef d'oeuvre mélancolique. Allié à l’alcool phényléthylique a l’odeur de rose verte et de riz (saké pour JC Ellena), cela donne l’aubépine qui n’existe pas en parfumerie. 

La jacinthe d’eau est un accord de jasmin, une bonne dose d’hédione entre autre, de notes épicées (girofle) qui se colle aux notes humides de la violette.
Et le fond musc bois vert et costus provient de la mousse de chêne, l’absolue foin (remplacée par de l’absolue tabac quand je suis tombé en rade et qui sera à nouveau remplacé par de l’absolue de flouve que je compte m’acheter). Et une matière synthétique, le costausol (qui me fait penser à l’odeur de poupées « têtes à coiffer ») prolonge le tout. Il apporte également une note « ancien temps » : avec la velvione un musc moderne (parpaing mouillé), le vertenex (floral –iris- sec) et une trace d’ebanol (santal) cela donne un accord que j’ai appelé : l’accord « mise en pli », les cheveux violets coiffés qui sortent de sous le casque.

D’éminents parfumistas ont déjà testés (et approuvés pour certains et certaines) l’avant-dernière version et c’est donc une dernière amélioration qui est en cours de maturation. C’est la seule de mes  créations  que j’aime porter de temps à autre, l’été par canicule pour un phobique des hespéridés en mal de fraîcheur il est parfait.


Photos: angélique et flouve. 

dimanche 1 avril 2012

Ô Shocking!

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Elsa Schiaparelli était déjà une créatrice de mode célèbre quand elle lança Shocking en 1937. Elle fréquentait les milieux surréalistes: Man Ray et Marcel Duchamp, ou encore Jean Cocteau et Salvador Dali qui collaborèrent avec elle à la création de robes et de chapeaux.
Elle voulut un parfum qui représenterait sa mode: inventive, non conventionnelle et fantaisiste.

Le flacon devrait être une œuvre d'art, il reproduira un moulage du buste de l'actrice américaine Mae West célèbre, surtout, pour ses formes très généreuses. La couleur, ce serait le rose. Un rose chaud et fier, conquérant qui allait devenir la marque de fabrique de Schiaparelli et inscrire Shocking dans l'histoire.

A sa sortie, c'est le scandale, la forme du flacon et la couleur  choque et électrise l'opinion.  
Et ce qu'il y a dans le flacon n'est pas en reste. 

Elle a fait appel à Jean Carles le même qui avait déjà commis Tabu de Dana,  autre parfum de femme libre. 
Le style de Jean Carles  est alors d'expanser l'accord chypre déjà classique  avec une surdose de patchouli en  opposition avec un accord fleuri, souvent de l'oeillet, ou de la rose dans ce cas. C'est audacieux, fauve et particulièrement "chaud" . Il utilise des bases comme c'est d'usage à l'époque,  celles de Roure pour qui il compose, auxquelles il adjoint pour créer Shocking des notes animales et parmi elles, sans doute la plus shocking de toutes: la civette. 
Le fond du parfum est donc sérieusement animalisé, épicé de clou de girofle et serti dans un chypre rond et presque ambré. 

L'accord de cœur se doit d'être une rose, mais comme la créatrice et sa couleur fétiche, une rose riche, épicée, chaude et animale. C'est d'ailleurs avec du miel, qui annonce le fond de civette, qu'elle est servie, et pour corser le tout une touche de narcisse dont les accents de feuilles sèches et de foin se mêlent à ceux des pétales de roses fanant.

En tête et pour bien montrer à qui l'on a à faire: des aldéhydes, de la bergamote et surtout un trait d'estragon qui vous rappelle si vous l'aviez oublié, qu'on ne porte pas Shocking comme un vulgaire sensbon. 
Il me fait l'effet d'une claque qui réveillerait l'endormie cet estragon, vif, rapide et efficace.





Mon flacon d'Eau de Cologne trône en bonne place dans l'armoire à vintage.
La cologne est d'une puissance qui ridiculiserait bien des eaux de parfums actuelles, la légèreté est de mise lors de l'application, et sa longévité assez phénoménale. 
Elle n'a plus toute sa tête bien sûr, le temps a fait son ouvrage. Les aldéhydes ont soufferts, ils ont pris un aspect gras et savonneux, la bergamote n'est plus qu'un souvenir mais l'estragon rafraichit toujours d'une pointe aromatique le cœur du sujet qui s'annonce d’emblée et sans détours: une rose miel animale.

La rose shocking est poudrée, un peu grasse, le narcisse lui apporte des accents de fraicheur verte et des nuances de pétales séchés. Jusque là tout va bien. Le miel un peu cire enrobe le tout d'une douceur rassurante. 
Mais très vite les notes de salive sèche du miel et de la cire d'abeille prédisent et précipitent l'évolution du parfum vers ce fond terriblement animal et envoutant. La civette atteint facilement la dose maximale supportable pour moi, mais son accompagnement oriental et chypré (j'y sens bien la mousse de chêne et le patchouli), la rende complètement addictive.

Je l'aime quand il fait chaud, en soirée torride il est parfait. Mais comme d'autres vintage qui font figures d'ovni face à la production actuelle, Shocking est un plaisir solitaire pour moi. C'est le genre qui vous extorque une bordée de "Oh putain" en gloussant la première fois que vous le vaporisez et je n'ai jamais osé le porter hors de ma tanière.
Ce n'est pas tellement un parfum sexuel, explicitement je veux dire, mais plutôt sensuel, très sensuel même, intense et voluptueux. 
Une certaine idée de la langueur et de l'érotisme: Shocking c'est l'intime porté haut et très fort. 
Une peau chaude que l'on lèche, un corsage dégrafé, une culotte qui pendouille sur le panier à linge sale, un vieux savon oublié qui se dissout peu à peu dans son porte-savon, le parquet qui grince, un meuble ancien en bois vernis, c'est une histoire d'intimité qui s'affiche et qui s'offre. Et c'est ce qui rend Shocking si choquant. Et troublant. Caldissimo!
Je pense d'abord à ces actrices italiennes plantureuses, à la gorge déployée et au teint éclatant; mais c'est aussi l'image d'un David à peau bronzée qui s’endort sur un lit défait  après une douche rapide, qui s'impose. 
Shocking annonce la couleur: celle de la sieste crapuleuse en plein été.

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Cette merveille a hélas été discontinuée, relancée et "mise à jour" brièvement en 1997 pour disparaitre définitivement peu après; mais on trouve encore quelques flacons sur Ebay, à  prix assez élevés.