lundi 18 mars 2013

Serge Lutens, La Fille de Berlin


La  cuvée Serge Lutens 2013 est sortie. Et de quoi s'agit-il? 
D'une belle grosse rose rouge qui tâche.

La Fille de Berlin. Elle mange des cerises dans un parc un peu avant l'aube après une nuit moite en boite de nuit. Son cavalier ivre dort sur la pelouse à côté mais elle attend le jour décidée, têtue. Le gars mâchait un chewing-gum menthol, elle tripote distraitement ses mèches blondes en crachant ses noyaux et sa robe est froissée.

Ça démarre métallique et presque froid, camphré. Peut-être de la cardamome, un peu de poivre, le vieux Maître n'aime pas les notes et se tait sur les compositions, nous n'en saurons rien sauf pour la rose qui trône royalement. Mais l'opulence de la reine des fleurs est ici maitrisée, tenaillée, allemande. Une rose habillée, couture, distante, elle est pourpre, vineuse, sanguine,  et les quelques notes vertes ne font pas long feu  laissant place à la touffeur de fleurs froufroutantes qui s'étoffent progressivement en se faisant miellées, presque crasse. (Sans doute une quantité de phenylethyl benzoate une matière que j'adore pour ses accents de miel de rose justement ). 

La Fille de Berlin c'est des cerises, framboises et quelques solides molécules de puissante rose fruitée qui habillent et tiennent le parfum de bout en bout, soutenu par une bonne dose de bois comme il se doit chez Lutens. On craint le pire, tomber dans la sucraille et le collant d'un jus confituré mais non, elle sait se tenir la petite et sa robe noire n'est pas vulgaire. 

L'ambiance expressionniste un peu arrogante, l'éclat du rubis, tout concoure à faire de cette énigmatique berlinoise une fleur amoureuse parée d'une aura distante de mystère et comme sortie tout droit du Metropolis de Fritz Lang telle une vestale lutensienne sortant de la toile, de noir vêtue comme Serge revenant aux origines. Et je pense au mythe Nombre noir et sa débauche de damascones qui augurait dans les années 80 d'une parfumerie excessive, baroque et délicieusement orientale. Un peu brute et épineuse, quasi rock en 2013 Le fille de Berlin a pour moi la voix de Marianne Faithfull chantant Les mystères de l'amour.





(La vidéo est rachitique et frise le hideux mais c'est tout ce que j'ai trouvé pour illustrer)
Photo: bouquet de rose papa meilland.


vendredi 1 mars 2013

L'Eau de Merzhin


Voilà, ça y est, elle est là, L'Eau de Merzhin.  
Et je n'en suis pas peu fier. 
Difficile d'en parler tant la chose me semble personnelle et en même temps, elle ne m'appartient plus maintenant, d'autres nez peuvent en jouir et s'en délecter. Enfin j'espère. 

Pour ma première incursion de l 'autre côté du miroir de la parfumerie, c'est à  mes racines que j'ai pensé. J'ai passé une bonne partie de mon enfance à gambader dans les prés, à sillonner les bois moussus des campagnes bretonnes et à parcourir à pied les landes mystérieuses des Monts d'Arrée. Autant dire que les  contes et légendes de Bretagne m'ont imprégné dès l'enfance et que j'ai de bonnes racines breizhou. 
Le thème est donc la Bretagne au printemps, la fraicheur des herbes de prés, l'eau qui coule, la terre mouillée, la campagne qui s'éveille, les oiseaux qui pépient, les premières fleurs sauvages qui pointent: douceur et détermination. Mon intention, en sus de me laisser guider par les matières qui ont semblé évidentes à assembler, était d'évoquer un paysage, des souvenirs avec sans doute une pointe de nostalgie. Et puis l'enfance, il y a quelque chose d’enfantin et dans ma façon d'aborder la création et dans le résultat final. 

J'aime les matières naturelles, L'Eau de Merzhin en est gorgée à plus de 70%, de belles matières, des absolues, des extraction CO2 et des huiles essentielles choisies pour leur qualité et leur pureté olfactive. Le résultat : un parfum décalé, intense, tendre ; des notes de tête très vertes,  fraiches et vives qui s'adoucissent pour s'alanguir sur un fond plus sec de foin coupé. 
Galbanum, Angélique,  cassie et feuille de violette pour le vert un peu poudré anisé et aromatique. L'absolue feuille de violette apportant également une sensation de mouillé, d'humide sans avoir eu besoin de faire appel à ces notes aqueuses synthétiques que je déteste.
Aubépine, jacinthe d'eau et héliotrope pour le coeur floral  léger. J'avais l'image des ces bosquets d'aubépine en fleur au tout début de printemps qui ne durent que quelques jours et embaument les prairies d'une douce odeur suave et entêtante. Et pour le fond: du foin, flouve, fève tonka et de la mousse. La flouve étant une herbe sauvage très chargée en coumarine à l'odeur douce de foin sec. Enfin, il y a une belle note d'iris qui lie le tout comme un fil conducteur. 
Deux matières synthétiques essentiellement sont mises en valeur: l'anysaldéhyde aux accents de mimosa anisé et l'ambrettolide un musc un peu vert qui rappelle l'ambrette et aussi l'angélique par moment. Quelques ionones forcément soutiennent la violette et une touche plus sale de crésols et de notes animales évoquent la terre, le cuir et la mousse. 
  
Il y a d'abord eu plusieurs versions appelées Fleurs du ruisseau, avant d'aboutir au parfum final et de me lancer dans l'aventure d'une petite production.  Sans formation formelle en parfumerie et dans l'art de composer, il m'a fallu beaucoup de tâtonnement, une part de chance et faire appel à mon intuition et à tout ce que j'avais pu lire, sentir auparavant pour inventer ce parfum. Et puis j'ai eu la chance tout au long d'avoir un panel de testeurs prestigieux, confrères blogueurs, parfumistas émérites qui ont bien voulu jeter une narine sur mes touilleries et donner leur avis éclairé qui chaque fois m'a aiguillé sur le chemin de la création. C'est toujours un honneur de faire sentir à des professionnels une petite chose que l'on a concocté dans sa cuisine, et encore plus quand ils sont séduits. 
La magie a également opérée quand en passant de l'essai à la production finale, le changement de qualité en matières premières a modifié et embelli tout le parfum : l'iris beurré que j'y ai ajouté a fait des merveilles et me ravi encore chaque fois que je le sens. Ce qui n'était pas prévu mais qui finalement me rempli de fierté, c'est cette ambiance vintage de parfum ancien que l'on perçoit dès l'ouverture. 
Mais je crois que la claque majeure, ce fût de sentir pour la première fois L’Eau de Merzhin fraichement mise en flacon, sur une amie qui l'a de suite adopté. Quel sentiment étrange de côtoyer son bébé porté par quelqu'un d'autre. Parfois bien sûr c'est affreux, je ne vois que des défauts, et d'autres je n'en reviens pas : c'est moi qui ai fait ça?
Bref, je suis sur un petit nuage depuis le début et il s'avère que je ne suis pas prêt de redescendre. 


L'Eau de Merzhin est disponible en flacons de 50 (90€). Pour celles et ceux qui voudraient le découvrir, merci de me contacter à cette adresse: anatole.lebreton@gmail.com
Je peux également envoyer des échantillons.

Le nouveau flacon :