dimanche 14 juillet 2013

Lys Epona




Ça y est il est là. On a suivi l'affaire de près sur son  Journal de bord d'un parfum. L'auteur est une amie, on a souvent glosé autour d'un verre de vin charpenté et de tartines de charcutailles diverses des affres du parfumista au pays de glucideland, de nos histoires d'odeurs et de rêves de parfums, des trucs de salive sèche et bien sûr de lys cuiré. 
Dame Cymoril donc, bien connue des forums parfumés, raconta son histoire au tenancier du pire bouge à parfums de la capitale : Jovoy, la boutique de toutes les tentations, sise rue Castiglione à Paris, tout prêt du parc des Tuileries. L'occasion était trop belle, cela sonnait comme un brief, il fallait offrir à cette histoire d'odeurs son écrin parfumé, ce que fit François Henin le propriétaire en décidant de donner carte blanche à Cymoril. La mise en œuvre fut confiée à Amélie Bourgeois et toutes deux de connivence, parfumeuse et muse amusée, ont travaillé à donner corps à ce morceau de vie : un bouquet de lys croisant un défilé à cheval.

Quelle excitation donc de voir éclore un rêve, d'avoir suivi son déroulement comme en reportage sur le vif, et d'enfin découvrir l'objet final prêt à devenir l'histoire de celles et ceux qui voudrons bien voyager sur cette monture. C'est comme  avancer dans une demeure ancienne et de se dire "tiens, j'ai l'impression d'être déjà venu ici", mon imaginaire s'y colle parfaitement. Un tableau de Gustave Moreau sur un mur, une soudaine envie de porter une redingote, un brin dandy écoutant du Bowie : Oh you, pretty thing ! 

Et puis direct crochet du droit, le cuir en pleine face, dans la figure le crottin frais et le souffle du cheval passant fier harnaché surplombé d'un type à casaque hautaine et tout à fait charmant. Derrière, un magnifique bouquet de lys à peine ouverts au bras, passe une femme 1900 à voilette et ombrelle timide, pressant le pas pour sortir de la foule. Un instant suspendu, leurs regards se croisent furtivement, et l'un et l'autre rougissent en tentant de cacher l'émoi. 
La robe qui traine à terre est soulevée pour éviter les honneurs chevalins, un vent de pisse balaie la foule emmêlant la bête et le lys. Puis le bouquet se déploie et la fleur blanche soi disant virginale prend le pas. C'est fini, le cortège s'éloigne ne laissant qu'un souvenir de regard croisé, un  bel inconnu sur son destrier et une apparente frêle jeune fille qui tentent d'échapper aux convenances l'espace d'un instant de liberté.

Ce souffle de liberté et le gout pointu de son instigatrice me baladent entre une rigueur quasi corsetée de cuir et ce juste ce qu'il faut d’excentricité florale pour attiser le flamme et faire battre le cœur. Dès l'attaque des notes vertes contrastent très élégamment avec le cuir, maintenant la fraicheur et la jeunesse du parfum, un air d'innocence et de surprise ; quelque chose de vaguement humide également, l'impression qu'il a plu juste avant le défilé, presque moite.  Jamais le lys ne dégueule son pistil vulgairement, il se sèche à peine de narcisse et de foin maché puis il s'adoucit, se veloute avec le temps, moletonne et c'est là que je le préfère. Le musc  final est simplement envoutant, un tapis sur lequel on se prélasse en gardant précieusement le souvenir toujours présent du regard croisé. Ce parfum est un fantasme.
Le flacon est absolument fabuleux : une vieille chose comme on les aime, habillée de neuf,  et ce bouchon mon dieu, une corolle. Je n'ai pas encore découvert l'étiquette et la boite rêvée par Cymoril mais comme un dandy masquant son impatience dans une pose nonchalante  :  Que dire sinon, je suis charmé.


Le parfum sera incessamment sous peu disponible chez Jovoy, encore un tout petit peu de patience. Il fallait bien un 14 juillet, et le défilé de la garde républicaine pour cet article.
Tableau: Gustave Moreau, Venice.  

mercredi 3 juillet 2013

Tom Ford, Sahara noir.





Le duty free a du bon parfois, quand errant désœuvré en attendant le départ on teste pour tuer le temps. Et me voilà au rayon Tom Ford parfums, noir et or comme il se doit, dégainant la mouillette devant le dernier opus. Et c'est encore une bonne surprise, après le Noir pour homme l'année dernière, Violet blonde l'année d'avant, voici Sahara noir. 
Un parfum sale comme j'aime. Sale et poussiéreux, buriné par le vent brulant du désert, une oasis au milieu des odeurs de lessives fruitées et des insipides jus lavasses. 

Comme toujours chez Ford, nous sommes à un battement de cil du vulgaire, le flacon doré de quasi mauvais gout, le noir du nom idem (soupirs de lassitude), et un jus monumental qui vous remplit un avion en moins de deux. Mais contre toute attente, ça marche. Parce que parfois à force d'en faire trop on atteint une espèce de détachement bouddhique qui nous pare d'une aura de douce sérénité. Et c'est d'ailleurs cette ambiance contemplative qui me séduit ici, comme ralenti par la chaleur du désert, bercé par une fumée d'encens sur fond de baumes et d'ambre, évitant de justesse le collant d'une mélasse au pruneau et le sirupeux d'une confiture de pin mais jouant finement sur la sécheresse tout du long. Un parfum qui a une histoire à raconter, qui me parle. 

Une bouffée d'encens et de résines s'échappe du flacon, et nous voilà écrasés par la chaleur dans un souffle sec d'Iso E super qui soulève le tout. Je vois défiler les cyprès de bord de routes toscanes, les mythiques ziggourat noircies de fumées qui s'échappent de braséros décorés, une vague verte de calamus passe rapidement, de la cannelle en bâtons qu'on jette sur le brasier, un léger fumet animal de cire d'abeille et surtout ce fond qui embaume le tout de benjoin, de ciste labdanum aux accents cuirés et d'une lichouille de vanille plutôt gousse que vahinée. Pas exactement dans la finesse, plutôt du style bazooka olfactif avec une diffusion terrible, mais... je trouve ça incroyablement sexy. 

Comme dans un roman de gare on nage dans le chic trash: madame n'a pas froid aux yeux, adopte un poilu de type viking australien et le ballade en touareg dans le désert marocain. Elle prend des poses de déesse méditante, fait mine de lire du Jane Austen mais ne pense qu'à la robe Léonard qu'elle vient d'acquérir.
Souvent chez Ford, le genre est suffisamment flexible pour qu'on puisse sans rougir passer au rayon d'en face et je me ferai un plaisir d'aller brûler en enfer saharien cet été. 


Photo: La tour de Babel, Brüegel.